Redevenir humain.e

Par Éloïse Cabral

En mars 2020, alors que mes parents revenaient juste à temps de leur visite chez ma sœur en Alberta pour le shutdown total annoncé au Québec, et alors que j’habitais encore avec eux, nous avons passé un gros 14 jours en quarantaine tous ensemble.

Contexte nouvellement pandémique oblige, la radio, la télévision, les journaux, les réseaux sociaux, tout, TOUT était allumé dans la maison. À chaque repas, à chaque envoi de meme, à chaque point de presse, les yeux de la maisonnée se tournaient une fois de plus vers les écrans.

Ça a pris dix jours pour que je commence à sermonner mes parents sur leur exposition abusive à ce déferlement d’information. J’en avais eu ma claque, et ma santé mentale en arrachait.

Déjà j’étais confinée avec mes parents, ce qui, pour une jeune femme pleine d’hormones et d’énergie sociale à dépenser, est un défi en soi, mais en plus j’étais habitée d’un vertige incroyable devant le néant que me paraissait être mon futur. Une semaine plus tôt, j’étais dans les bars tous les soirs avec mes amis, je sortais au resto, au parc, tout le temps (j’étais dans une phase…). Enfin, le vertige m’a pris.

J’ai eu peur de ne plus jamais revivre ce genre de vie, j’ai eu peur de perdre mes amis, j’ai eu peur de perdre tous les acquis de confiance en moi que j’avais réalisés dans les derniers mois, peur de perdre mes bonnes habitudes de pratique de sports, etc.

J’ai donc demandé à mes parents de ne plus parler de Covid à la table, de ne plus m’envoyer tous les memes qu’ils recevaient. J’ai déconnecté une partie de mes réseaux ou bien arrêté de suivre une partie des pages, groupes et personnes qui me frustraient. J’ai arrêté de trainer en pyjama toute la journée, je me suis monté une routine de sport à faire 3 ou 4 fois par semaine, je me suis arrangée pour aller marcher tous les jours avec un ami, que je finirais d’ailleurs par côtoyer en exclusivité pour les mois à venir.

Un an plus tard, je réfléchis à tous ces changements qui se sont opérés, aux acquis, à ce que je veux retenir de cette expérience, même s’il paraît qu’on est encore loin du but.

La fin de mon stage à CFAK comme chroniqueuse politique se finit cette semaine et je souhaitais partager avec vous mon expérience, parce que j’ai finalement réussi à identifier un profond mal-être qui, je crois, habite une grande partie des gens de ma génération.

J’ai compris avec cette pandémie, avec le temps, avec cette expérience à la radio étudiante, que le monde de l’information est un monde fantastique, fascinant, enrichissant, mais aussi gravement addictif, anxiogène et envahissant.

Comme mon stage me demandait d’être très à l’affut de l’actualité, j’ai passé beaucoup de temps sur différents médias, applications, réseaux, chaînes de télé, journaux en ligne ou papier. Choisir mes sujets hebdomadaires était probablement la partie la plus angoissante de toutes! Comment captiver, comment attirer l’attention, comment m’assurer de couvrir l’actualité? Le sujet est-il trop complexe, assez politique, assez pertinent pour mes auditeurs? Et surtout, comment choisir parmi les centaines et milliers de sujets possibles?

Et puis il y a ce sentiment de culpabilité. Je participe à la création d’informations, à la multiplication de textes et de chroniques qui ne font que remâcher du contenu qui a déjà été couvert mille fois par mille personnes beaucoup plus compétentes que moi. Je suis responsable, même si c’est à l’échelle microscopique, de ce qui s’appelle la surcharge informationnelle ou l’infobésité.

Souvent dans ma vie j’ai senti que je devais avoir une opinion sur tout, que je devais être au courant de l’actualité, que tout le monde avait l’air d’en savoir plus que moi sur toutes sortes de sujets, que tout le monde était tellement plus connaissant que moi de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, les trends, les hashtags en vigueur, etc.

Ce sentiment qu’on n’en sait jamais assez, peu importe la quantité d’info qu’on avale au quotidien, je sais que je ne suis pas seule à le vivre.

Mark Manson, blogueur et auteur de plusieurs ouvrages, dont The Subtle Art of Not Giving a F*ck, propose une théorie assez intéressante, qu’il surnomme The Attention Diet. Après la Seconde Guerre mondiale, la population américaine a vu ses épiceries être inondées de produits alimentaires variés en quantité monstre. On produisait désormais beaucoup plus de nourriture que ce dont on avait besoin pour survivre. Devant cette abondance, on a commencé à remarquer que les gens avaient de plus en plus de difficulté à s’arrêter de manger. Les maladies chroniques liées à l’obésité, au diabète, aux maladies de cœur ont fait leur apparition et ce n’est que quelques décennies plus tard qu’on a commencé à éduquer la population sur l’exercice physique et l’alimentation saine. Malheureusement, ce n’est pas si simple de défaire une mauvaise habitude. Il reste beaucoup de chemin à faire. Mark Manson estime qu’on approche d’un point culminant similaire par rapport à l’information. On se rend compte que trop d’information cause énormément de désagréments comme l’anxiété, la faible confiance en soi, la dépendance aux réseaux sociaux, etc.

Bien sûr, il n’est pas le seul à se révolter et à s’alarmer devant le phénomène. La question est de plus en plus documentée, et une simple recherche sur les Internet donne accès (ironiquement) à une foule d’information à ce sujet.

Toutefois, pas besoin d’aller loin pour constater déjà les effets des réseaux.

Tenez, prenons l’exemple d’un de mes proches qui connait tellement de choses sur l’environnement, les éco-villages et les modes de vie zéro-déchet, mais qui ne MÈNE pas cette vie à la hauteur de ses ambitions, entre autres parce qu’il est plus occupé à se bourrer le cerveau de toujours plus d’idées que de retenir une idée et de l’essayer, de la mettre en application, comme si en savoir toujours plus allait rendre sa vie plus écologique. Ou peut-être est-ce justement cette abondance d’information qui finit par l’immobiliser et le rendre incapable de savoir par où commencer…

Autre exemple : ces personnes qui sont extrêmement engagées sur les réseaux sociaux par rapport à la grossophobie, à la culture trans, au mouvement BLM et autres. Est-ce que ces personnes font du bénévolat pour un organisme d’insertion sociale? Participent-elles à la vie politique de leur communauté pour faire avancer la cause? Malheureusement, dans leur vie réelle, elles ne sont souvent pas actives et parfois même, confrontées à des évènements réels, ne sauront réagir avec autant de diligence, de sagesse et d’inclusivité que ce qu’elles prêchent sur les réseaux.

Les réseaux sociaux ont mené les gens à vivre dans une réalité parallèle qui devient de moins en moins connectée avec la vie réelle. Même ces personnes qui utilisent les réseaux sociaux pour montrer leur mode de vie et encourager les autres à vivre une vie plus saine, plus simple et minimaliste, plus « verte », souvent finissent par passer plus de temps à ajuster leur jardin, leur chambre, leur environnement pour être photogéniques et en mesure d’attirer l’attention sur les médias sociaux, qu’ils peuvent passer de temps à réellement VIVRE leur mode de vie.

Je parle par expérience ; j’ai déjà été une de ces personnes qui polluent ton fil d’actualité avec ses réalisations plus chouettes que les tiennes.

C’est ainsi qu’on se retrouve à scroller et à vivre la vie dont on rêve par interposition. On se réfugie dans la vie rêvée des gens sur les réseaux. On se projette l’instant d’un documentaire, l’instant d’un post, l’instant d’une vidéo, et quand on revient à sa propre vie, on constate le vide de celle-ci. On constate qu’on vient de perdre 3 heures sans que quoi que ce soit n’ait avancé chez nous.

Le contraste entre ces sentiments de plénitude, d’espoir, de motivation qui peuvent surgir suite à nos incursions dans la vie des autres, et ces sentiments de vide, d’immobilité, de lassitude qui nous envahissent dès les écrans fermés, c’est ça la cause de cette morosité et de cette anxiété qui habite ma génération. On finit par imaginer trop et réaliser peu.

En cette fin de session et en ce début de printemps, je vous invite à vous mettre au défi, ne serait-ce qu’une journée, une semaine, un mois, selon ce qui vous paraît réaliste.

Lâchez vos écrans, lâchez vos réseaux sociaux. Vous voulez avoir la vie de ces gens sur Instagram? Fermez vos téléphones. Sortez dehors, promenez-vous. Soyez curieux, arrêtez-vous pour lire les affiches sur les babillards, écoutez les conversations des gens dans les transports en commun, inscrivez-vous à un cours au centre communautaire. Parlez de météo avec la petite dame qui attend au même arrêt de bus que vous.

La vie peut être surprenante et les expériences, gratifiantes, si seulement on leur laisse une chance de se produire. Si seulement on sort de notre cocon virtuel.

De mon côté, je vous jure que c’est avec le sourire que je supprime toutes ces applications de nouvelles qui me font 6000 notifications par jour, que je vais lire un bon vieux livre dehors au soleil et que je prends le temps, et j’accepte, de ne pas être à l’affut de tout, tout le temps.

Si jamais vous souhaitez vous motiver à décrocher :

Cette merveilleuse chronique de Normand Baillargeon sur les techniques employées par les « ingénieurs de l’attention » et sur notre devoir moral de citoyen de se préserver en adoptant une plus grande sobriété numérique : ici.

Ce TedTalk de Cal Newport intitulé « Quit social media » :

Cette capsule de Mark Manson qui nous suggère une « diète d’attention » :

Dans cette dernière chronique à titre de microstagiaire à CFAK, Éloïse prend un moment pour nous parler plus personnellement de sa relation avec les médias. Nous voulons prendre un moment avant sa chronique pour la remercier de son temps avec nous et nous lui souhaitons le plus grand succès dans ses projets futurs! Merci Éloïse! - L'équipe de direction de CFAK. Crédit photo : Noah Silliman

Paru le vendredi 9 avril 2021

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